L’Australie et l’héritage de la guerre en Irak : mettre les amis avant les voisins?
Matthew Graves OREMA
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Aucune évaluation de l’engagement des forces armées australiennes dans la guerre d’Irak, et de son engagement antérieur dans la guerre d’Afghanistan, ne serait complète sans une compréhension de l’histoire de l’Australie en matière de projection de forces expéditionnaires à l’étranger dans le cadre d’alliances avec de “grands et puissants amis”. Bien que célèbre, la phrase de Robert Menzies est rarement citée dans son intégralité ou dans son contexte. Lors de la campagne électorale de 1958, le leader du parti libéral, qui était déjà assuré de battre le record de longévité d’un premier ministre australien, a résumé ainsi les principes fondamentaux de la politique étrangère de la nation en pleine guerre froide :
L’élément dominant de notre politique étrangère est, bien sûr, d’entretenir des relations amicales, d’être de bons voisins, d’avoir des amis puissants. Pourquoi des amis puissants ? Quelqu’un pense-t-il que nous pourrions, par nos propres moyens, nous défendre contre un agresseur de taille ? La défense de l’Australie, par conséquent, bien que nous devions faire notre devoir à cet égard, est étroitement liée à nos relations étrangères. C’est pourquoi une politique étrangère véritablement australienne exige de cultiver des amitiés, et en particulier un alignement étroit sur le Commonwealth et les États-Unis d’Amérique1.
La question de savoir ce qu’est une « véritable politique étrangère australienne » au XXIe siècle continue d’osciller entre ces deux pôles que sont les « bons voisins » et les « amis puissants », générant les courants alternatifs et directs des relations internationales du pays dans un jeu d’équilibre constant entre le Nord proche et l’Occident. Le regretté Stuart Macintyre, autorité en matière d’histoire australienne, l’a dit sans ambages : “L’obéissance à un protecteur puissant était un paiement en nature pour une défense bon marché “2. En effet, la doctrine de sécurité de l’Australie est restée axée sur la défense avancée depuis la Fédération des six colonies, et a fortiori depuis le “virage vers l’Amérique” déclaré par John Curtin en décembre 1941 au lendemain de Pearl Harbor, comme le rappelle constamment aux Australiens le cycle commémoratif de l’ANZAC en plaçant l’esprit expéditionnaire au cœur de l’histoire nationale.
Rattrapé par les attentats du 11 septembre 2001 lors d’une visite officielle à Washington, il n’est guère surprenant que John Howard ait exprimé la solidarité de l’Australie en invoquant Pearl Harbour3 puis le traité ANZUS4, dont les termes ne mentionnent pourtant pas les actes de terrorisme non-étatique. Le renouvellement de l’engagement en faveur de l’alliance américaine, et de ce qui allait devenir la “guerre mondiale contre le terrorisme” de l’administration Bush, ne pouvait être mieux affiché. En réponse, Simon Crean a dirigé l’opposition du parti travailliste à une guerre qu’il a qualifiée d'”imprudente et inutile”5.Vingt ans, deux guerres, 14 milliards de dollars de dépenses et des centaines de milliers de morts civils et militaires (dont 50 militaires australiens) plus tard6, le soutien politique à la pierre angulaire de la politique étrangère de l’Australie est intact et, dans l’ensemble, fait l’objet d’un consensus.
Pourtant, dans la politique fédérale australienne les nuances sont importantes, et la désaffection du public à l’égard du soutien de la Coalition aux “guerres éternelles” de l’Amérique a sans doute été l’un des “facteurs d’héritage” dans le balayage complet des gouvernements d’État et fédéral que les travaillistes ont parachevé lors des élections législatives de la Nouvelle-Galles du Sud du 25 mars 2023. Aux commandes de l’état ou dans l’opposition, les travaillistes tendent vers le pôle des “bons voisins” de la politique étrangère australienne, les libéraux-nationaux vers ses “amis puissants”. La décision du gouvernement de Scott Morrison d’adhérer au pacte AUKUS en 2021 en dépit des dommages infligés aux relations avec la France – une moindre puissance, peut-être, mais toujours un voisin du Pacifique et un pont vers l’UE – peut être lue dans cette optique, tout comme l’excoriation par l’ancien Premier ministre travailliste Paul Keating de son successeur Howard pour avoir cautionné l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis7, ou sa dénonciation du pacte AUKUS8, ou encore la mise en garde de Kevin Rudd contre le risque d’une “guerre accidentelle” avec la Chine9. Les réserves des aînés du parti travailliste s’appuient sur « le nationalisme éclairé » promu par Gough Whitlam, qui a vu son gouvernement retirer les forces australiennes du Viêt Nam et reconnaître la République populaire de Chine en l’espace de quatre jours, en décembre 1972, à la grande colère de l’administration Nixon. Cependant, c’est une première ministre travailliste – Julia Gillard – qui a accepté le stationnement des marines américains à Darwin lors de la visite présidentielle de Barack Obama en 2011, et c’est le premier ministre Labor en exercice, Anthony Albanese, qui est devenu la cible collatérale de l’accusation de Keating selon laquelle son parti “revient à son ancien maître colonial, la Grande-Bretagne” en signant un contrat de sous-marins de 368 milliards de dollars qui serait trop coûteux, stratégiquement non pertinent et compromettante pour la souveraineté de l’Australie10. Sa critique de la “complicité” du gouvernement Albanese dans le pacte AUKUS, hérité du gouvernement de coalition libéral-national de Morrison, est remarquable non seulement parce qu’elle provient du doyen du parti travailliste, mais aussi parce que sa virulence est à la mesure de son sentiment de violation d’un précédent séculaire qui verrait “un gouvernement travailliste contemporain (…) délaisser la sécurité en Asie au profit de la sécurité dans et au sein de l’anglosphère “11. Les enjeux politiques sont accrus par la perspective d’un conflit non plus distant de 11 500 km, dans l’autre hémisphère, mais aux portes même de l’Australie.
Notes en bas de page
1 Menzies, Robert, “Election speech”, Canterbury, Vic, October 29th 1958, Museum of Australian Democracy at Old Parliament House, https://electionspeeches.moadoph.gov.au/speeches/1958-robert-menzies
2 Macintyre, Stuart, A Concise History of Australia, Cambridge: Cambridge University Press, p.223.
3 Howard, John, “Press Conference, Australian Embassy, Washington DC, USA”, PM Transcripts, Australian Government: Department of the Prime Minister and Cabinet, 11 September 2001, https://pmtranscripts.pmc.gov.au/release/transcript-11783
4 Howard, John, “United States of America: Terrorist Attacks”, Parliamentary Debates, House of Representatives, 17 September 2001, https://parlinfo.aph.gov.au/parlInfo/genpdf/chamber/hansardr/2001-09-17/0004/hansard_frag.pdf;fileType=application%2Fpdf
5 Crean, Simon, “Leader of the Opposition – Address to the Nation”, Parliament of Australia, Canberra, 21 March 2003, https://parlinfo.aph.gov.au/parlInfo/search/display/display.w3p;query=Id:%22media/pressrel/N0V86%22
6 46 Australian soldiers lost their lives in Afghanistan from 11 October 2001 to 8 October 2021; 4 in Iraq from 16 July 2003 to 14 December 2013, “Deaths as a result of service with Australian units”, Australian War Memorial, https://www.awm.gov.au/articles/encyclopedia/war_casualties
7 In Karp, Paul, “Paul Keating says John Howard should ‘hang his head in shame’ over Iraq war”, The Guardian, 7 July 2016, https://www.theguardian.com/australia-news/2016/jul/08/paul-keating-says-john-howard-should-hang-his-head-in-shame-over-iraq-war
8 Keating, Paul, The National Press Club AUKUS Statement, 15 March 2023, http://www.paulkeating.net.au/shop/item/aukus-statement-by-pj-keating-the-national-press-club-wednesday-15-march-2023
9 Former prime minister Kevin Rudd warns of risk of ‘accidental war’ with China, ABC News (Australia), 10 March 2023, https://www.youtube.com/watch?v=RIzjW15ApOs
Australia and the Legacy of the Iraq War: Putting Friends before Neighbours?
Matthew Graves (OREMA)
No assessment of Australia’s commitment of armed forces to the Iraq War, and its earlier engagement in the war in Afghanistan, would be complete without an understanding of its history of projecting expeditionary forces overseas in alliance with “great and powerful friends”. While oft-quoted, Robert Menzies’s notorious phrase is rarely cited in full or in context. On the campaign trail in 1958, the Liberal leader, who was already assured of being Australia’s longest-serving prime minister, summed-up the fundamentals of the nation’s foreign policy at the height of the Cold War as follows:
The dominant element in our foreign policy is, of course, to maintain friendly relations; to be good neighbours; to have powerful friends. Why powerful friends? Does anybody suppose that we could in our own strength defend ourselves against a major aggressor? The defence of Australia, therefore, though we must do our duty about it, is closely bound up with our foreign relations. That is why a truly Australian foreign policy requires the cultivation of friendships, and in particular a close alignment with the Commonwealth and the United States of America1.
The question of what makes “a truly Australian foreign policy” in the 21st century continues to oscillate between the twin poles of “good neighbours” and “powerful friends” generating the alternating and direct currents of the country’s international relations in a constant balancing act between its Near North and the West. No lesser an authority on Australian history than the late Stuart Macintyre put it bluntly: “obeisance to a powerful protector was payment in kind for defence on the cheap”2. In effect, Australia’s security doctrine has remained one of forward defence since the Federation of the six colonies, even more so since John Curtin’s ‘turn to America’ in December 1942 following Pearl Harbor, as the ANZAC commemorative cycle constantly reminds Australians by placing the expeditionary mindset at the heart of the national story.
Caught up in the 9/11 attacks amid an official visit to Washington, it was of little surprise then that John Howard should express Australia’s solidarity by invoking Pearl Harbour3 and later the ANZUS treaty4, irrespective of its terms which make no mention of acts of non-state terrorism. The renewal of the pledge to the US alliance and to what would become the Bush administration’s “Global War on Terrorism” could not have been more forthright. In response, Simon Crean led Labor’s opposition to a war he described as “reckless and unnecessary”5. Twenty years, two wars, $14 billion in expenditure, and hundreds of thousands of civilian and military deaths (including 50 Australian service personnel) later6, political support for the cornerstone of Australia’s foreign policy is undiminished and, by and large, a matter of consensus.
Yet, in Australia’s federal politics small differences matter, and public disaffection with the Coalition underwriting America’s “forever wars” has arguably been one of the ‘legacy factors’ in the clean sweep of state and federal governments that Labor completed in the New South Wales legislative elections of 25th March 2023. In and out of office, Labor has tended to gravitate towards the “good neighbours” pole of Australian foreign policy, the Liberal-Nationals to its “powerful friends”. The decision by Scott Morrison’s government to adhere to the AUKUS pact in 2021 in spite of the damage inflicted on relations with France – a lesser power, perhaps, yet still a Pacific neighbour and a bridge to the EU – can be read in this light, as can former Labor prime minister Paul Keating’s excoriation of Howard for enabling the US-led invasion of Iraq7, or his denunciation of the AUKUS pact8, or Kevin Rudd’s warning against the risk of “accidental war” with China9. The reservations of Labor’s elder statesmen draw on that strand of “new nationalism” initiated by Gough Whitlam which saw his Labor government withdraw Australian forces from Vietnam and recognize the People’s Republic of China within the space of four days in December 1972, much to the ire of the Nixon administration. However, it was a Labor prime minister – Julia Gillard – who agreed to the stationing of a US marines in Darwin during Barack Obama’s presidential visit in 2011, and the current incumbent Anthony Albanese who is a collateral target of Keating’s charge that his party is “returning to its former colonial master, Britain” in signing up to a $368 billion submarine deal dismissed as too costly, strategically irrelevant, and a compromise of Australian sovereignty10. The critique of the Albanese government’s “complicity” in the AUKUS pact it inherited from Morrison’s Liberal-National coalition government is remarkable not just for coming from Labor’s doyen, its virulence is commensurate with his sense of the breaching of a secular precedent which sees “a contemporary Labor government (…) shunning security in Asia for security in and within the Anglosphere”11. The political stakes are heightened by the prospect of a conflict not 11,500km distant, in another hemisphere, but on Australia’s doorstep.
Footnotes
1 Menzies, Robert, “Election speech”, Canterbury, Vic, October 29th 1958, Museum of Australian Democracy at Old Parliament House, https://electionspeeches.moadoph.gov.au/speeches/1958-robert-menzies
2 Macintyre, Stuart, A Concise History of Australia, Cambridge: Cambridge University Press, p.223.
3 Howard, John, “Press Conference, Australian Embassy, Washington DC, USA”, PM Transcripts, Australian Government: Department of the Prime Minister and Cabinet, 11 September 2001, https://pmtranscripts.pmc.gov.au/release/transcript-11783
4 Howard, John, “United States of America: Terrorist Attacks”, Parliamentary Debates, House of Representatives, 17 September 2001, https://parlinfo.aph.gov.au/parlInfo/genpdf/chamber/hansardr/2001-09-17/0004/hansard_frag.pdf;fileType=application%2Fpdf
5 Crean, Simon, “Leader of the Opposition – Address to the Nation”, Parliament of Australia, Canberra, 21 March 2003, https://parlinfo.aph.gov.au/parlInfo/search/display/display.w3p;query=Id:%22media/pressrel/N0V86%22
6 46 Australian soldiers lost their lives in Afghanistan from 11 October 2001 to 8 October 2021; 4 in Iraq from 16 July 2003 to 14 December 2013 – “Deaths as a result of service with Australian units”, Australian War Memorial, https://www.awm.gov.au/articles/encyclopedia/war_casualties
7 In Karp, Paul, “Paul Keating says John Howard should ‘hang his head in shame’ over Iraq war”, The Guardian, 7 July 2016, https://www.theguardian.com/australia-news/2016/jul/08/paul-keating-says-john-howard-should-hang-his-head-in-shame-over-iraq-war
8 Keating, Paul, The National Press Club AUKUS Statement, 15 March 2023, http://www.paulkeating.net.au/shop/item/aukus-statement-by-pj-keating-the-national-press-club-wednesday-15-march-2023
9 Former prime minister Kevin Rudd warns of risk of ‘accidental war’ with China, ABC News (Australia), 10 March 2023, https://www.youtube.com/watch?v=RIzjW15ApOs
10 “‘Former colonial master’: No one spared as Paul Keating launches astonishing attack on Labor, AUKUS deal”, SBS News, https://www.sbs.com.au/news/article/former-colonial-master-paul-keating-launches-astonishing-attack-on-labor-aukus-deal/we38qsi9s
11 Keating, Paul, op. cit., 15 March 2023.
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OREMA (6 avril 2023). L’Australie et l’héritage de la guerre en Irak : mettre les amis avant les voisins? OREMA. Consulté le 13 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/skqv
